LE PAYSAGE EN PREALABLE
GRAND PRIX DE L'URBANISME 2011

On me décerne le grand prix de l’urbanisme. A l’ambiance de fin du monde s’oppose un optimisme candide.

De très nombreuses villes françaises se dotent de projets et visions territoriales. Ces projets anticipent l’avenir et dépassent toutes les limites administratives pour souvent rejoindre celles de la géographie naturelle. On parle d’effet « grand Paris » mais c’est beaucoup plus qu’une mode. A un réel déficit de projets, succède une anticipation large et parfois pour des temps longs.

Tout se passe comme si le manque de visibilité économique éloignait de la production d’icônes au profit de projets territoriaux, collectifs et durables. Le désir de construction se déplace de l’objet spectaculaire – la fameuse médiathèque du maire et de l’architecte, vers de plus modestes prototypes des projets territoriaux. Ces maigres mais réjouissantes réalisations m’apparaissent avec le même optimisme comme les préfigurations, les préalables des vastes transformations annoncées.

Ces préalables parfois réputés temporaires, souvent exécutés dans l’urgence électorale, sont conçus avec une sorte de détachement. Paradoxalement, ces conditions précaires déterminent peut être des architectures pérennes, car détachées de toute notion patrimoniale et surtout parce que leur modestie autorise toutes les transformations. En cela elles peuvent durer.

Je découvre qu’à un grand prix de l’urbanisme, on demande immanquablement ce qu’est sa vision de la ville idéale.

Je ne dessine pas une ville mais je crois à la puissance de la recomposition de nos territoires urbains dans leur géographie. Je crois à la construction des espaces publics manquant à l’échelle des grands étalements urbains du siècle dernier.

Ma ville idéale n’est pas un modèle.

Ma ville idéale est n’importe quelle ville dont on dessinerait la lisière. Cette maigre clôture au développement vertigineux qui ceinture les lotissements et les parcs d’activités. Formidable réservoir pour un espace public à inventer.

J’aime l’idée de ces transformations tout comme je redoute de contribuer à un nouvel académisme de la complexité. Un vaste bricolage compliqué où tout aurait un sens légitime sans que jamais on ne ressente une quelconque « grandeur ». Adriaan Geuze m’avait invité à la Biennale Internationale d’Architecture de Rotterdam et attendait de moi la « french grandeur ». Je lui ai livré ce projet de recomposition de l’estuaire, d’îles et de rivières bâties. Une géographie inversée, l’expansion de Rotterdam à l’échelle d’un delta et de ses inondations. Ma version de la french grandeur dont nous n’avons jamais reparlé depuis.

A Skolkovo en Russie, à Doha au Qatar, on ne redoute pas une certaine grandeur. Ce serait l’occasion rêvée d’exporter de véritables villes idéales. On vivrait alors dans une curieuse schizophrénie avec ici une paralysie théorisée et là-bas le plus grand cynisme commercial. Il n’y a qu’un monde et surement pas de double vie. A Skolkovo comme à Doha, j’« invente » les vallons, j’amplifie les reliefs, je viabilise les crêtes. Lutter contre la neige et symétriquement capter l’infime humidité, déterminent parfois la mise en situation et la forme de ces villes en construction. 

Explorations dérisoires face aux exportations massives d’autres villes idéales ?

Certainement pas, et pour s’en convaincre, il faut revisiter encore et encore Monte Carasso de Luigi Snozzi.