FREDERICK LAW OLMSTED - ARCHITECTE DU PAYSAGE
Préface de Michel Desvigne
Préface de Michel Desvigne / Editions de la Villette

L’œuvre d’Olmsted occupe-t-elle une place nouvelle ?

 

Avant de constituer de nouveau une référence pour un grand nombre de concepteurs, Olmsted fut longtemps relégué à un style daté. Il y a 20 ans, les étudiants de la GSD de Harvard l’associaient encore à une écriture « rétrograde », sans voir l’intérêt stratégique de cet immense héritage.

 

Ayant vécu et travaillé aux États-Unis, je me suis intéressé aux systèmes de parcs, je les ai pratiqués. Et il me semble alors avoir mieux compris leur envergure.

 

L’une des grandes singularités de ces systèmes historiques est la manière dont ils se superposent à la géographie existante, dont ils la transforment et la prolongent. Cette amplification de la géographie est étroitement liée à la gestion des eaux, des routes, des mouvements de sol. Elle apparait, dès son élaboration, comme un mode de viabilisation organisant la métropole à venir.

 

Le cadre paysager à grande échelle est transposé au cœur de la ville par des éléments parfois plus formels. Ceux-ci sont mineurs à l’échelle géographique qui conserve sa cohérence, mais ils sont immenses et structurants à l’échelle des nouveaux quartiers.

 

Les paysages structurels proposés par Olmsted font « système » dans la mesure où leurs composants se coordonnent, s’articulent à travers les différentes échelles d’intervention, allant de la gestion du grand territoire jusqu’à la définition d’espaces publics majeurs ou secondaires.

 

Ces emboitements d’échelles d’interventions, et leur mise en œuvre progressive témoignent de l’extraordinaire plasticité des systèmes de parcs. Que ce soit à New York, Boston ou Washington, des continuités de bassins, promenades, parcs et parkways se sont développés sur une cinquantaine d’années. Elles composent aujourd’hui encore l’armature de ces villes. On ne peut qu’être frappé par la façon dont ces paysages ont permis d’intégrer progressivement les bouleversements de la ville industrielle en expansion, l’évolution des mobilités et des modes de vie.

 

Aujourd’hui, on mesure la chance que furent ces structures paysagères et l’on s’en inspire à nouveau.

 

Les situations contemporaines diffèrent de celles du XIXe siècle. Les zones industrielles se sont développées, beaucoup ont muté. Les villes ont continué de s’étaler, mais le XXème siècle n’a pas construits les espaces publics à l’échelle de ces évolutions. Les enjeux actuels concernent des projets de transformation. Il s’agit de re-sculpter dans des structure territoriales ou urbaines existantes, d’en changer l’affectation, de les embellir pour constituer des continuités nouvelles, et les espaces publics manquants.

 

Les systèmes de parcs américains du XIXe siècle offrent un modèle opérant pour structurer les périphéries, les délaissés urbains. Leur typologie est transposable, à rebours, pour constituer une structure aux étalements urbains contemporains. Les vestiges de la géographie, les faisceaux d’infrastructures et les sites industriels sont les lieux possibles de cette reconquête.

 

Nous pouvons évoquer à ce titre le territoire d’Euralens (1 200 ha), en complète transformation. Au début du XXIe siècle, ce territoire modelé par les concessions minières pouvait être vu comme un archipel. Des exploitations, à l’abandon depuis des décennies, avaient laissé un réseau de vides, correspondants souvent à d’anciens réseaux de transports de matériaux. Il aurait été plus simple, et certains urbanistes l’avaient amorcé, de remplir ces vides par du bâti. Nous les avons considérés comme un possible maillage de liens et de promenades, qu’il suffisait de révéler. Ces infrastructures en déshérence sont reliées, complétées et requalifiées en un néo-système de parcs, créé a posteriori. Celui-ci offre une nouvelle centralité à l’échelle de trois communes. Elle se rattache aux parcs, espaces publics et équipements existants, et sert de support à la densification des cités minières.

 

Le même renversement du regard sur cette géographie artificielle existe à l’échelle du bassin minier. Les terrils peuvent être considérés comme autant de parcs en puissance tant le végétal, spontané ou cultivé, y est présent. Reliés bout à bout par un réseau de lieux et de liens, ils formeront une « chaines des parcs » remarquable sur un territoire de 23 000 hectares. Ce qui valait ainsi pour la nouvelle centralité d’Euralens, prend ici une autre dimension.

 

Ces métamorphoses, pour devenir tangibles, nécessitent un travail de recomposition, de hiérarchisation.L’aménagement d’un territoire ne peut s’étendre ou se contracter homothétiquement. Réaliser un espace public ou un projet urbain à l’échelle d’un quartier, diffère de l’intervention sur une agglomération, et qui plus est sur un ample territoire. Les cohérences physiques recherchées sont spécifiques à chaque échelle d’intervention, et des articulations sont nécessaires à leur continuité.

 

L’œuvre d’Olmsted témoigne de cette recherche de cohérence où l’ensemble prévaut sur l’élément particulier ou le décor. Cette exigence interroge le rôle des paysagistes, jusque dans leur manière d’utiliser le paysage comme matériaux.

 

Journaliste et un écrivain proche des philosophes transcendantalistes Emerson et Thoreau, Olmsted confère à l’architecte du paysage un rôle et une responsabilité qui le distinguent du jardinier. La création de paysages généreux, offrant des espaces communs accessibles à tous citoyens, répond à une nécessité. Tout au long de sa carrière, Olmsted développera des modèles destinés à contrebalancer le poids de la vie urbaine. A ce titre, il accorde aux parcs naturalistes en milieu urbain un sens spécifique : proposer aux visiteurs une immersion dans un paysage naturel, libre de toute distraction qui ferait obstacle à l’expérience réparatrice.

 

Les composants de ses paysages, comme la façon de s’y déplacer sont subordonnés à ce principe. Cela se traduit par une écriture singulière. Par exemple, les matériaux ne sont en aucun cas ceux des jardins pittoresques, ni même des jardins paysagers produits à la même époque en Europe. Olmsted travaillait avec des bois, des marais, des prés, des étendues d’eau, matériaux inscrits profondément dans la géographie et la nature. Cette écriture élémentaire, au sens des éléments, correspond à ce qui était alors une représentation de la nature. La nôtre est aujourd’hui différente. Mais ce naturalisme pragmatique me semble tout à fait actuel et singulièrement pertinent au regard de la conscience que nous avons de ce que peut être la nature, et sa place dans l’espace public.

 

Le renouveau de la profession, initiée par Michel Corajoud dans les années 70, répondait à la nécessité et même à l’urgence de quitter le statut de « jardinier » au service des architectes et ingénieurs auquel l’après-guerre avait relégué les paysagistes. Il s’agissait de redevenir acteur de la recomposition et du développement du territoire, des villes et de leurs espaces publics. Quelques décennies plus tard, on mesure la pertinence de cette prise de position, puisque des paysagistes sont désormais parfois mandataires d’équipes pluridisciplinaires.

 

Depuis plus de dix ans, la mise en œuvre de la stratégie d’aménagement du plateau de Saclay, au sud de Paris illustre cette récente évolution. Ce projet d’envergure constitue à lui seul un échantillonnage de nombreuses problématiques actuelles. Le territoire est un ensemble éclaté où se juxtaposent zones urbanisées et territoires agricoles, dans une ignorance réciproque.  A l’évidence la stricte composition du bâti ne donne pas l’unité de ce territoire, et la mise en cohérence des pièces de cet archipel est d’une autre nature. Le paysage est à l’échelle de cet enjeu. Non pas celui des « corridors écologiques », ni celui souvent illisible des villes nouvelles mais une fois de plus celui des systèmes de parcs d’Olmsted.

 

Aujourd’hui les maitres d’ouvrages semblent à nouveau estimer que le paysage peut être l’élément de cohérence capital dans un ensemble d’études sur le territoire, comme de l’espace public. Cette conviction trouve de plus en plus d’écho auprès des collectivités et des politiques soucieux, à travers la métropolisation, de produire des visions territoriales à long terme. Elle se retrouve aussi parfois dans des projets d’aménagement opérationnels à plus petite échelle. Ces progrès inespérés et considérables restent toutefois fragiles, et bien modestes comparés aux aménagements conçus et amorcés au XIXème siècle.

Couverture du livre : Frederick Law Olmsted Architecte du paysage

Prix littéraire René Pechère 2022

 

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