PRESENTATION DES ACQUISITIONS DU MUSEE NATIONAL D’ART MODERNE
CENTRE POMPIDOU, PARIS
Décembre 2013, le Musée National d’Art Moderne vient d’acquérir un ensemble de dessins et maquettes de l’agence Michel Desvigne Paysagiste. Ce don fait l’objet d’un accrochage au Centre Pompidou.

OUTILS DE REPRESENTATION

Le plus difficile, le plus important est de voir les sites, de comprendre leur taille et de comprendre leur nature. Et pour leur transformation, d’avoir une maitrise de leur échelle. Je crois que le plus important dans notre métier, comme en général de l’architecture, est la pertinence de l’échelle dans la réponse Pas tant l’habileté que la pertinence de l’échelle. Comprendre où l’on est, pour pouvoir agir là où l’on est.

Pour cela nous avons besoin de différents outils : les dessins, les maquettes, les collages, les photos... Et peut-être à chaque fois doit-on inventer l’outil qui permette de prendre de la distance par rapport à l’outil précédent.

Au fond tous ces outils sont bons et tous ces outils sont des pièges potentiels, nous enferment dans le plaisir de la représentation, dans le simulacre. Et on n’échappe jamais à ce plaisir de la représentation et à une certaine autonomie que prend la représentation. Personne n’échappe à cela, sauf à alterner les moyens, à inventer à chaque fois le moyen qui cassera le précédent jusqu’à ce qu’on construise le projet, et que l’on retourne sur le site. Pour autant, nous avons besoin de ces outils.

Je ne crois pas qu’on pourrait, en étant sur un site, avec des moyens physiques, agir sur lui. Ce réel est trop complexe, parfois trop grand, pour que sans modèle, sans images, on ait la capacité d’avoir quelque conception que ce soit.

On a besoin de se détacher de ce réel, pour concevoir quelque chose et agir sur lui. Et l’on doit sans arrêt se méfier de ces instruments, de ces images, de ces représentations. Elles nous servent à concevoir, mais nous devons tout de suite les annuler par une autre, pour que ce que l’on fera soit à l’échelle juste, et que l’on perde la fascination pour l’instrument, pour le média.

 

PAYSAGES EN CONTREPOINT

Il faut longtemps pour convaincre une collectivité de faire un projet. Parfois le projet se définie finalement très rapidement dans l’urgence, toujours dans l’urgence. Il y a ce paradoxe terrible d’une longue gestation, et d’une mise en forme extrêmement rapide. Et je n’en souffre pas. Je crois qu’au contraire ceci nous permet d’être pertinent et de perdre peut-être toutes les connotations qui s’accumuleraient justement pendant les années de conception.

Au fond, Renzo Piano en parle très bien, et d’autres avant lui. Je crois que pour réussir quelque chose il faut un certain détachement. Oui, il faut y croire, il faut une compétence, et il faut du détachement. Et parvenir au détachement, ça ne vas pas de soi. L’urgence inattendue, souvent redoutée, nous met en situation de détachement et donc de concevoir avec une certaine vigueur.

 

COMPOSITION SPATIALE

Je fais partie d’une génération pour laquelle la composition spatiale a été un tabou.

C’est vrai chez les architectes aussi, c’est vrai chez certains plasticiens où on évoquait plutôt des jeux de textures, mais rarement la composition, géométrique par exemple.

Et on voit bien qu’on ne peut pas faire cette économie de cette vraie organisation spatiale. Il y a un moment où il y a une limite. S’il y a une clairière, il y a un moment où elle s’arrête et où autre chose commence. Quelle est la forme de cette clairière ? Quelles sont les proportions de cette clairière ? 

Et on se tourne de nouveau peut-être vers certaines expériences du XIXème siècle qu’on a peu regardées, qui étaient tabou. Et souvent dans les jardins dits « paysagers », on peut observer des compositions de vides de pleins, de clairières de boisements tout à fait extraordinaires.

Central Park, par exemple, n’est pas de la verdure. Il y a une composition et cette composition est parfaitement maitrisée. Et je m’interroge aujourd’hui sur la manière de maitriser ces vides et ces pleins. Il y a quand même une forme à donner au vide.

Les paysagistes en Grande Bretagne, en Angleterre, préfiguraient leurs compositions avec des draps, avec des piquets, avec des ficelles : on essaye en vrai pour maitriser. C’est terrible d’imaginer qu’en plan et en perspective, on puisse avoir une maitrise tellement forte que l’espace serait juste.

La composition est donc aussi ce travail tout à fait empirique, ce travail qui évolue sur place pour maitriser la densité et la composition.

Je crois qu’on s’interroge de nouveau sur la composition spatiale, sur la composition parfois géométrique, quelle que soit cette géométrie, toujours sur les textures bien sûr, mais aussi sur cette composition et je crois que c’est peut-être nouveau au  XXIème siècle.

 

JEUX DE DENSITES VARIABLES

Depuis des années ce qui me fascine c’est composer avec ces jeux de densités variables.

J’aime ces densités variables aussi parce que le temps est impliqué. Ces densités varient dans le temps. On plante très serré comme dans un boisement, puis  progressivement on sera amenés à  éclaircir. On va choisir les meilleurs arbres, la densité changera, les arbres seront plus gros, plus hauts mais moins denses. Donc on joue avec la densité tout de suite, et plus tard encore.

J’aime dire que je préfère une pépinière que certains jardins.

Dans une pépinière, dans une peupleraie ou dans un verger, dont la composition est simple, je m’intéresse à la densité : ce que je vois, ce que je ne vois pas, à des opacités progressives : pendant combien de dizaines de mètres je vois, à partir de quand est-ce opaque…

Donc j’aime ces références, encore une fois peupleraie, verger, parce que leur composition est élémentaire, c’est une géométrie orthogonale simple, mais leur porosité, leur texture varie.

 

ECRITURE ELEMENTAIRE

Les matériaux sont nécessairement élémentaires : des arbres, de l’herbe, de l’eau, parfois quelques surfaces minérales de pierre ou de béton. Avec ces composants rudimentaires, et en nombre très limités, vous pouvez construire un jardin classique, imaginer un jardin pittoresque, imaginer tout ce que vous voulez. C’est-à-dire avec très peu de choses on peut, à très grande dimension parfois, créer des univers très différents.

J’aime cette économie des moyens. Par contre, je n’aime pas lorsqu’on a besoin d’un attirail que l’on croit séduisant, qu’on imagine être très actuel, et qui galvaude, je crois, ce caractère élémentaire.

J’aime bien ce mot « élémentaire ». Mais dans le sens des éléments : oui, c’est de l’herbe, de l’eau, des arbres… et avec ça on peut tout faire, et on peut faire de très grandes choses.

C’est fascinant. La rusticité du matériau est extraordinaire.